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Prétexte
4 avril 2009

A nos actes manqués (suite)

Scénario 3 : La pomme ne tombe pas loin de l'arbre, à moins que ce ne soit de l'arbre.

Je rencontre la femme de ma vie à un bal caritatif pour la sauvegarde des classes moyennes. Brillante, elle me fait pendant des mois une cour effrénée à coup de sérénades et d'effets spéciaux, à moins que ce ne soit moi qui tente de l'impressionner par mon imperméabilité au ridicule.

Lorsqu'enfin le destin nous réunit, je la suis à l'autre bout de la France pour qu'elle accomplisse son début de carrière, et je renonce à mon travail pour élever nos enfants, de toute manière je n'ai pas vraiment d'ambition professionnelle. A moins que ce soit moi qui m'intègre peu à peu dans les sphères intellectuelles, qu'on n'arrête pas de me dire que je suis brillante et formidable et qu'il paraisse naturel qu'elle devienne femme au foyer, de toute manière elle en a envie.

J'élève mes deux enfants en leur inculquant des principes forts mais me révèle impuissante et désarmée lorsqu'ils éprouvent la lucidité douloureuse de l'adolescence ; ils cessent de communiquer (mais a-t-on déjà vraiment communiqué dans cette famille ?) et nos rapports se déchargent peu à peu d'affection, j'ai l'impression d'être une domestique au service de ma famille. A moins que je ne m'épanouisse en-dehors du foyer, devenant l'amie indispensable et inconditionnelle de tous ceux qui me flattent. A la maison je déçois par mon manque de constance et d'implication. Mes enfants ne me font plus confiance mais au fond peu importe, ils ne me distraient que pendant un temps limité, puis je me mets à les détester lorsque les traits de caractère que j'aperçois chez eux me rappellent les facettes de moi-même que je ne veux pas affronter. Parfois j'avoue je prends un malin plaisir à les humilier, de toute manière ne sont-ils pas comme moi imperméables au ridicule ?

La quarantaine passée ma femme me quitte pour une plus jeune et je me retrouve seule. Pas de travail, pas d'amis, pas d'aventures, mes enfants sont tout pour moi et je sais que c'est un poids qu'ils ont du mal à supporter. Secrètement, ils sont obligés d'admettre qu'ils ne m'aiment pas. Ils font leur temps puis quittent la maison. Je trouve des jobs précaires qui ne m'emmèneront pas jusqu'à la retraite. Je ne cherche pas quelqu'un d'autre car je serai déçue. Des fois quand même j'aimerais bien que quelqu'un taille les arbres à ma place. A moins que ce ne soit moi qui ait le démon de midi. Je repars à zéro avec une autre femme, hanté par l'anti-exemple de mon propre père, mais peu à peu tous mes anciens défauts refont surface. Elle me quitte après quelques années et je décide que je ne suis pas faite pour vivre en couple. Heureusement je suis tellement indispensable à mon travail que les compliments me maintiennent à flot. J'ai une vague période de remise en question et je me sens prête à renouer avec mes enfants mais en fait je suis si formidable que les femmes viennent seules à moi, et je repars dans une relation sérieuse. Quelques années plus tard je déménage à l'île Maurice dont la capitale est Port Louis, parce qu'ils ont trop besoin de moi, et puis après tout je m'ennuie ici et plus rien ne me retient en France.

Je mourrai sans gloire et on m'oubliera vite. Mon dernier mot sera "Whatever".

Scénario 4 : Soyons fous

Je passe les jeunes années qui me restent à me fondre dans la foule et le conformisme d'une homosexualité confortable, puis c'est le coup de foudre, pour la personne la plus insolite qui soit. Un homme blanc, français, catholique non pratiquant, de mon âge, hétérosexuel, riche, amoureux, désireux de s'engager, non stérile, intelligent, cultivé, avocat à mi-temps, et originaire de Digne-les-Bains capitale des Alpes de Hautes-Provence. Mes parents tout d'abord choqués finissent par l'accepter dans la famille. Nous nous marions, avons beaucoup d'enfants et vécumons heureux jusqu'à la fin de ma vie.

Je mourrai d'ennui et mon dernier mot sera "assomant". Comme tous ceux d'avant d'ailleurs.

Scénario 5 : If only...

Je supporte encore quelques mois de chômage, puis à bout de tout, encaissant une déception de trop et n'ayant plus confiance ni dans mon sex-appeal, ni dans mes talents de prosti-électricienne, je me dirige vers le Pont Saint Pierre pour me jeter dans la Garonne. Au moment d'effectuer le saut fatidique, les bras en croix, je réalise que je sais voler et me mets à léviter à quelques mètres du sol. Mes heures d'entraînement oniriques me permettent de me détacher complètement de la gravité et je peux me concentrer sur mon pouvoir naissant de télékinésie. Je détruis quelques pelleteuses pour m'entraîner, je grave "POUKI RULEZZ" sur le sol du Capitole avec le parechoc d'une Fiat Panda, puis m'entoure d'une aura de lumière, me fais pousser une aile dans le dos et menace de détruire la Terre avec une météorite. Je reçois la visite de quelques CRS et membres du GIGN qui s'inclinent devant ma puissance et deviennent mes premiers adeptes. Inspirant la crainte aux plus grands dirigeants de ce monde, je reçois de nombreux cadeaux que je ne sais plus où ranger. Je fais donc pleuvoir les Rolex, barils de pétrole, CD de Patrick Sébastien et autres bouteilles de Putinka sur le monde, pensant redistribuer les richesses, mais ces chutes d'objet inopinées font de nombreuses victimes parmi les simples mortels. Au bout de quelques années, fatiguée de tout le bordel que j'ai foutu sur la Terre et ayant la flemme de ranger, je vais voir ailleurs si j'y suis. N'y étant pas, je m'installe à Nassau capitale des Bahamas et deviens championne de jokari.

Je mourrai d'un éternuement explosif. Mon dernier mot sera "mouette russe".

Je pourrais continuer longtemps à faire des suppositions, mais je suppose que tous ces scénarios sont à la fois vrais et faux. Qui suis-je ? J'essaie avec ce blog d'y répondre ; je m'attarde parfois sur mes frustrations, mes combats, mes fiertés, et le reste du temps je laisse juste glisser les mots comme un exutoire.

En fait je dois faire un double constat d'échec. Me définir est par nature le travail d'une vie. Quant à utiliser ce blog comme espace de liberté je me rends bien compte que c'est impossible. Les mots ne suffisent pas à donner forme à ce que je ressens. Il faudrait des images, des sensations, des odeurs, tout ce qui compose ces courts tableaux métaphoriques qui tapissent ma vie intérieure. Du verre brisé, la sensation de voler, une arme sur la tempe, des courses sans ligne d'arrivée, des parfums familiers, le chagrin d'un accord mineur, la violence des mots et l'ironie du sang. Tout ça n'a pas beaucoup de sens car tout se mêle et tout est incomplet. Le pire c'est que je me fiche du sens.

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